Concepts et formules-clefs dans l’œuvre de Jean Fourastié

 

Dès 1949, Léon Blum écrivait, après avoir lu Le Grand Espoir du XXe siècle : le lecteur reste « presque étourdi sous le flot d'idées originales qu'il énonce[1] ». On verra que, depuis 1949, ce flot n'a pas cessé de couler. Le texte suivant s'efforce de reprendre, dans leur ordre chronologique, les principales inventions, « découvertes » et « idées neuves » que Jean Fourastié a exprimées. Il se présente sous forme de citations, de titres t d'intertitres, ou de thèmes parmi les plus importants de œuvre de l'auteur, dont il donne ainsi une vue synthétique.

Le chercheur retrouvera donc ici les principaux aspects de la pensée de Jean Fourastié, épars dans une œuvre où les idées principales n'ont pas été toutes exposées dans quelques grands livres, mais aussi dans de nombreux articles de revue ou de presse et dans des interviews.

 

1937. Le contrôle de l'État sur les sociétés d’assurances

Les réserves mathématiques et les autres réserves « techniques » des sociétés d'assurances, sont des dettes à long terme, évaluées par des procédures statistiques.

1943. La comptabilité

Les techniques et la terminologie de la comptabilité à parties doubles ne s'expliquent correctement que par l’histoire de cette technique. Comptes de patrimoines (tenus à l’envers pour laisser aux tiers la commodité de la lecture directe) et comptes de recettes-dépenses (tenus à l’endroit) sont les deux natures  de comptes qui constituent les « parties doubles »

1945. L'économie française dans le monde

La science économique, l'histoire économique et la géographie économique sont une seule et même science.

Fécondité de la confrontation des statistiques nationales, forêts inexplorées de chiffres, à travers le temps et l’espace.

La population et son emploi, la population active et sa répartition selon les secteurs d'activité, doivent tenir un rôle majeur dans la science et dans l'histoire économique.

La productivité du travail est le facteur prépondérant du développement économique. Exemple de la productivité du travail agricole, mesurée en nombre de personnes nourries.

Une nouvelle conception de la « dépopulation des campagnes ».

Liens entre l'énergie mécanique, la productivité du travail et la croissance économique.

1947. La civilisation de 1960

L'idée de prospective (sans le mot).

Comparer des grandeurs statistiques dont les définitions et les ordres de grandeur éliminent toute erreur grave.

Le genre de vie et le niveau de vie, résultats de l’activité économique.

Le conseiller d'État français et l'ouvrier américain.

« Primaire, secondaire, tertiaire » terminologie reprise d’Allen B. Fischer à travers Colin Clark.

Les crises de l’économie traditionnelle et les crises de l'économie contemporaine.

Le seul problème qui se pose réellement en ce monde, celui que les théologiens appellent des fins dernières et qui est celui même de la vie.

1948. Note sur la philosophie des sciences

L'hétérogénéité du temps : Court-terme — moyen-terme — long-terme, thème essentiel de l'œuvre de Jean Fourastié.

Le rationnel et l'expérimental sont des démarches de nature distincte dont l'une n'engendre nullement l'autre et dont l'emploi conjugé est difficile, mais néanmoins nécessaire à l'homme, pour percevoir et connaître la réalité sensible.

Les limites de la science : le domaine de la science expérimentale est borné par l'échéance du temps.

L'homme vit dans un univers et dans une société en grande partie scientifiquement imprévisibles.

Nécessité pour l'homme de réflexions, de connaissances, de prévisions non scientifiques : les morales, les religions.

1949-1977. Prix de vente et prix de revient

Pas de prix où la science au vol pur ne se doive poser, toute humide d'azur.

1949. Cours de comptabilité

Marcel Proust (aucun règlement administratif ne s'oppose à ce que l'on commence un cours de comptabilité en citant Proust) , écrit quelque part que l'attitude dans laquelle on se trouve lorqu'on observe est moins féconde que l'attitude où l’on se trouve quand on crée.

I947-I949. Esquisse d'une théorie générale de l'évolution économique  contemporaine. Le Grand Espoir du XXe siècle.

« Vivre mieux en produisant mieux » formule de Jean Monnet; la filière, progrès scientifique, progrès technique, progrès économique, progrès social.

Thème général de l'action du progrès technique sur la réalité économique.

L’action du progrès technique sur la production, sur la consommation, sur l'emploi, sur les prix, sur les rentes, sur les crises économiques, sur le niveau de vie et sur le genre de vie.

La place de l'industrie dans la production nationale.

Utilisation, définition nouvelle et généralisation de la typologie « primaire, secondaire, tertiaire ».

La notion de productivité du Travail.

La notion de prix réel et de salaire réel. Le pouvoir d’achat du salaire moyen est indépendant de son taux monétaire ; il est déterminé par la productivité du travail des salariés.

La cause profonde des crises économiques est le défaut de concordance entre les tendances naturelles de la production croissante et les tendances naturelles de la consommation croissante. Rôle des crises économiques dans l'évolution des structures.

La machine doit conduire l'homme à se spécialiser dans l'humain.

1950. Les arts ménagers

L'immeuble et le meuble considérés comme outils au service de l'homme

L'importance sociale et culturelle des travaux ménagers. Travaux ménagers, arts ménagers et condition féminine.

Le but du confort est d'assurer à l'homme l’état naturel optimum, la situation des plus belles nuits et journées de printemps; il est de permettre et de stimuler l'autonomie et l’activité spécifique de l'homme.

L'histoire des mentalités domine l'histoire du confort comme toute l'histoire économique et sociale; exemple du verre à vitre, de l'armoire, du lit et du cercueil, etc.

1950-1951. Le progrès technique et l'évolution économique (Cours de l’Institut d’Études Politiques) nov. 1951; polycopié édité par « Les cours de Droit ».

L'R de Garches. L'homme n’entend que ce qu'il attend. Thème majeur, devenu élément essentiel des cours de Jean Fourastié à l'École des Hautes Études et au Conservatoire des Arts et Métiers, comme à l'Institut d’Études politiques. Repris plus tard dans La Grande Métamorphose, 1961, puis dans Idées majeures, 1966, etc. L'un des obstacles les plus graves que l'homme rencontre dans ses efforts pour la perception du réel est qu'il se fait organiquement des choses des idées préconçues ; cette préconception trie les signaux émis par le réel, écarte ceux qui ne sont pas attendus...

L'unicité de la pensée claire. Autre thème majeur de Jean Fourastié. (Voir plus loin : La Grande Métamorphose, Informatique cérébrale, etc.).

1951. Machinisme et Bien-être

Les quatre grands types de consommation ouvrière.

Le prix salarial du blé, facteur dominant de la condition humaine en Occident.

Le prix du coiffeur, du barbier, des miroirs et des tapisseries. Thèmes majeurs, repris dès 1952 dans La Productivité, et devenus mondialement célèbres.

Importance fondamentale du schéma de Ricardo sur les rentes pour l'histoire économique et sociale, pour la géographie économique et pour la science économique. Les pays et les époques à faible productivité sont des pays et des époques à fortes rentes (faible niveau de vie des masses et forte inégalité des revenus). Thèmes déjà évoqués dans Le Grand Espoir..., 1949, et repris notamment dans La Réalité économique, 1978.

L'évolution divergente des coûts de la réparation et de l'objet neuf; l'exemple du remaillage des bas ; l'exemple de la réparation des chambres à air.

L'histoire économique, sociale, culturelle et technique du verre à vitre et des miroirs. Les comptes de la galerie des glaces du château de Versailles.

Le paradoxe du Maharadja et du pauvre hindou. La loge à l’Opéra de M. Rothschild.

La durée de la vie moyenne et la mortalité infantile, indicateurs majeurs du progrès économique et social.

Premier appel aux « témoins du peuple » : Le Maître de Flémale, Van der Weyden, Le Nain... Vauban, L'homme aux quarante écus, Lavoisier, Villermé, Francinet...

1952. La productivité

Le parallélisme des prix courants des quatre céréales, blé, avoine, orge et seigle; la divergence des prix du blé et de la pomme de terre. (Cf. aussi Recherches sur l'évolution des prix..., 2e série, 1950 et 6e série, 1955.)

Éplucher des pommes de terre.

Les prix réels expliquent les disparités internationales des prix monétaires. Les prix monétaires du « tertiaire type » ne diffèrent que par la valeur selon les cours des changes des revenus monétaires moyens. Les prix réels du « tertiaire type » sont les mêmes à New York, à Paris et à Calcutta. La productivité du travail et le cours des changes. (Le thème « changes monétaires et progrès technique » a été développé dans l'article donné en 1955 à la Banque nationale de Belgique, puis dans Histoire de demain, 1956).

1956. Diogène

L'autonomie de l'être vivant. Référence et hommage aux œuvres de Pierre Vendryès, Pierre Auger, André Varagnac. La référence à ces trois œuvres est constante dans la pensée de Jean Fourastié.

1956. Histoire de demain

Les problèmes posés par la croissance démographique des pays où les techniques sont restées traditionnelles.

La croissance indéfinie des besoins. Les options niveau de vie — genre de vie dans les pays riches.

1956. L'enthousiasme au travail a-t-il disparu? (Conférence donnée à la Fédération française des travailleurs sociaux)

La rareté chez l'homme de l'initiative d'innovation.

Le cadre valorise le manœuvre.

Vraies et fausses raisons du malaise social. L'homme est là (dans l'entreprise) pour vivre.

L'enthousiasme au travail a disparu. Le travail traditionnel était une prière, un rite; Atala travaillait chez Dieu. Aujourd'hui, Atala travaille chez Citroën. (Le thème a été généralisé ultérieurement et est devenu : Atala vit chez Citroën. Il a été ensuite associé à la dialectique « paléocéphale et néocéphale », « cerveau droit et cerveau gauche »). Thèmes devenus classiques, repris en la plupart des ouvrages de Jean Fourastié, cf. notamment La Grande Métamorphose, 1961, et Idées majeures, 1966.

1959. Productivité, prix et salaire

Toute mesure de l'évolution du volume physique d'une production complexe (et donc, par exemple de la production nationale) est  tributaire du système de « prix constants » dans lequel cette_ mesure est faite. Les systèmes de prix anciens ou de prix de pays  peu développés accentuent les disparités dans l'espace et les taux de croissance dans le temps ; les systèmes de prix récents ou de pays très développés réduisent et minimisent les écarts.

1957. Révolution à l'Ouest

Le mécanisme des hauts niveaux de vie américains.

Le réformisme expérimental constitue aux États-Unis une révolution permanente, qui n'attend plus le progrès du Gouvernement mais des citoyens.

Lenteur de l'émergence en France de l'esprit expérimental. Descartes et la mentalité française. Étant la génération de la découverte, nous sommes la génération des essais.

Le mètre pliant et le mètre à ruban.

L’entreprise est une association d'hommes pour une coordination d'efforts. (Thème majeur repris notamment dans La Grande Métamorphose, 1961).

1959. Pourquoi nous travaillons

Nous travaillons pour consommer.

L’oxygène de l'air, seul produit consommable sans travail de production.

La croissance indéfinie des besoins.

L’aptitude de l'homme à consommer l'emporte sur son aptitude à produire.

Le rationnement, contrainte majeure. Les diverses procédures de rationnement. Le rationnement par la monnaie et les revenus. Le salaire, ticket de rationnement.

Lia théorie des profits : différence entre prix de vente et prix de revient. Cette théorie est plus simple et décrit mieux le réel que la « théorie de la plus-value ».

La dispersion des revenus. En France, le revenu national moyen par tête est égal au salaire moyen d'un O.P. parisien.

Depuis deux ou cinq cent mille ans, la misérable humanité tournoie sur ces mers démontées, cahotée dans de misérables barques... Aujourd'hui, le règne de l'instinct et le règne de la religion, c'est-à-dire la pression conjointe du très court terme et de l'éternel, les deux anneaux de la chaîne rivant à la fois et soutenant la millénaire humanité, disparaissent ou du moins se relâchent à la fois... Citroën doit être assez fort, assez savant et assez humain, pour épouser Atala sans la rendre stérile.

1959. Le calendrier démographique de l'homme moyen. (Population)

Avec la mortalité traditionnelle, la durée moyenne de la vie conjugale n'était que de 17 ans. L'enfant moyen devenait orphelin de père ou de mère à 14 ans, orphelin complet à 27 ans.

1961. La Grande Métamorphose

La sensibilité, à long terme, du « phénomène humain » aux taux de croissance modérés. Un volume de production ou de consommation qui croît de 7 % par an double tous les dix ans et est multiplié par 1 000 en cent ans

Le nombre de mètres de Côte d'Azur par humain ; le nombre de secondes de Joconde par vie. (Thèmes déjà exposés antérieurement notamment dans Diogène, 1960 et dans Arts, 1961).

Je suis un homme du passé!... Mais il me semble cependant que je suis né assez tard pour voir venir l'avant-garde de l'humanité de demain et saisir quelques-uns de ses premiers problèmes.

La complexité évolutive du réel.

Le bombardement d'informations.

Les ambitions excessives de la philosophie.

Les conséquences de l'hétérogénéité du temps

L'homme vit dans un univers en évolution imprévisible.

Situation de la connaissance dans un monde où le réel évolue plus vite que la science ne se forme.

L'ordre dans lequel les sciences sont nées.

Le raisonnement ne peut ni être substitué à l'expérience, ni valoir contre elle; il doit se plier à l'univers.

Le savoir humain est frappé de la servitude de l'idée unique. Dans ce palais, un seul visiteur.

Le rire naît d'une rupture de déterminisme ; a priori pénible, cette rupture engendre le rire, lorsqu'elle est surmontée.

Idées mères de l'humanité primitive. Situation et action. La notion de sacrement.

Le contact du réel est un traumatisme pour l'esprit. Le cerveau préfère les sons au bruit. La pensée unique spontanée est «court-terme » et non expérimentale. La solution que l'homme trouve spontanément à un problème concret est toujours médiocre ou mauvaise. C'est en réfléchissant que l'on cultive efficacement les pommes de terre.

Le cerveau fonctionne dans de tout autres conditions comme émetteur et comme récepteur. En général, le cri du cœur de Jean n'émeut pas Jacques.

Le temps est la modification de l'espace.

Le sucre qui ne fond pas.

Le chien de Coutances.

La pensée acte incomplet (modification microchimico-physique, sans amplification nécessaire en macrophysique).

La vie est microphysique. Mais les ensembles microphysiques qui « vivent » ne trouvent les conditions nécessaires à leur conservation à très long terme que dans des ensembles :-macrophysiques périssables. Voilà donc l'homme : la quasi-immortalité de l'atome associée au dépérissement incessant de la cellule; profondément relié, comme Van Gogh l'a peint, à au végétal et au minéral même.

L'instinct permet à l'être, insensible au long-terme, d’engendrer pourtant le long-terme. Par le non-conscient, nous pouvons accéder à l'acte multiple, et, parfois, à la construction du long-terme.

Le mal moral est la méconnaissance ou le mépris du long-terme.

L'humanité traditionnelle s'occupait à subsister.

Les conséquences de nos décisions, de nos actes et de nos paroles ne sont pas celles que nous avons prévues et en vue de quoi nous décidons et agissons.

La fin ne justifie pas les moyens : souvent même, dans le long-terme, il ne subsiste aucune trace de la fin, tandis qu'il subsiste  de cruelles traces des moyens.

Technique de la création : engendrer le long-terme par des impulsions à court-terme. La fureur qu'a l'atome d'engendrer la vie.

Nous, humanité, nous sommes un petit garçon de dix ans... dans 100 000 ans, nous atteindrons notre majorité.

1963. Les écrivains témoins du peuple

L'amour et le respect de l'humanité traditionnelle. Jacquou le Croquant, le capitaine Coignet, Martin Nadeau, la petite Jeanne, la vie des « simples »...

1965. Les quarante mille heures

Les invités inattendus, conséquences non recherchées de décisions politiques et sociales conscientes (que l'on appelle aujourd'hui effets de seconde génération ou effets pervers). Ces effets inattendus de nos actes et de nos décisions sont une conséquence de l'hétérogénéité du temps (voir ci-dessus, 1948).

Les vrais problèmes du socialisme : l'homme moyen occidental devient riche; l'humanité devient nombreuse, la société devient technique.

Complexité, fragilité et originalité de chaque être humain.

L'élévation du niveau de vie libère chez l'homme des forces centrifuges; la diversification des choix individuels.

Vivre près de son maximum : la frénésie.

L'amputation des facultés rituelles, affectives, esthétiques et sentimentales.

L'humanité qui vivait instinctuellement devra vivre consciemment.

La cité des abeilles et la cité des hommes.

1966. Les conditions de l'esprit scientifique

Les leçons d'ignorance (thème majeur).

Rien n'est moins spontané chez l'homme que l'esprit scientifique expérimental. Distinguer la rationalité et « l'expérimentalité ». Découvrir est plus difficile qu'inventer.

Les limites de la science. Les événements réels, non observables ou non observés ; les événements non reproductibles ; les événements uniques ; les événements non encore advenus. Le statut scientifique du « miracle ».

La complexité statique des sciences physiques et la complexité évolutive des sciences humaines. À très long-terme, les idées pures (politiques, philosophiques, morales et religieuses), peuvent devenir tributaires de la méthode scientifique expérimentale.

L'hétérogénéité du temps implique, pour l'homme vivant à court-terme, mais conscient de l'existence du long-terme, la fondamentale dualité des « connaissances » scientifiques et non scientifiques (philosophiques, morales et religieuses).

Par un mouvement inverse de celui qui sépare Moissac de Beaulieu, retrouver Dieu le Père à travers Dieu le Fils.

1966. Essais de morale prospective

Trois mariages traditionnels (Un paysan beauceron vers 1930, le fils de Jean Racine en 1698, Maurice de Broglie en 1903.)

La morale patrimoniale de la mère de François Mauriac.

Maintenir les tuiles sur la maison.

Il n'y a pas de vie possible pour tout le monde.

La morale populaire traditionnelle est voisine de l'instinct vital, sa fonction fondamentale est la même : assurer la continuité de la vie.

La morale traditionnelle était une morale du sacrifice. « Tout par devoir, rien par plaisir, — mais tout devoir avec plaisir ».

La mort était au centre de la vie comme le cimetière au centre du village.

La situation primait et commandait l'action.

C'est une grande tâche, c'est une dure tâche, pour la vie, de substituer la morale à l'instinct... Une conscience si faible, une information si insuffisante, d'un monde si compliqué, si vaste, si mouvant, si hostile, parfois si terrifiant, requièrent, sous peine d'un désespoir qu'exclut l'ardeur de vivre, une règle, une consolation, une assurance. Pour s'élever au-dessus du « monde horrible de l'instinct », l'homme doit accomplir une longue marche. Pour émerger de ce marais fangeux, il est bien vrai qu'il lui faut ce pavillon d'or au bout du monde réel, dont a parlé Taine.

Existent, dans le cerveau, de grosses molécules organiques sans communication avec la conscience, déconnectées des circuits habituels de la pensée claire, échappant à la volonté, mais cependant présentes, vivantes, et par conséquent capables et de prolifération et d'action sur d'autres molécules cérébrales. L'ensemble de ces molécules forme le subconscient.

La « Révolte » (au sens d'Albert Camus) a montré que, avec ou sans Dieu, l'humanité n'est pas facile à faire. Elle a montré qu'avec ou sans roi, une société peut devenir atroce... Les grands de ce monde, les militants, les intellectuels, après un siècle et demi de fureurs verbales et politiques, sont aujourd'hui d'accord pour nous dire qu'il ne suffit pas de tuer les dieux et les rois pour faire une société humaine. C'est plus compliqué, plus difficile, plus long que cela, nous disent-ils. Il faut apprendre vivre et à mourir. Mais encore ? Où l'homme moyen apprendra-t-il et qu'apprendra-t-il ?

Les différentes causes du mal : l'insuffisance des informations sur le réel ; les erreurs dans le « traitement » de ces informations ; l'imperfection des organisations d'atomes de molécules, d'êtres et d'ensembles d'êtres; la coexistence de ces êtres et de ces ensembles ; l'hétérogénéité du temps.

Souvent, l'être vivant, trompé par le court-terme, agit contre le long-terme.

L'hétérogénéité du temps et la dialectique court-terme/long-terme.

Les « étages » de la conscience morale : l'instinctuel (code génétique) ; le commandement (code religieux, code social lois et règlements...); les différents niveaux de l'information scientifique et de la délibération morale.

Morale et décision. La morale comme élément de la théorie de la décision. Décisions-solution et décisions-option. La complexité du réel, l'hétérogénéité du temps, interdisent à l'homme, sauf rares exceptions, les décisions-solution. Il en résulte d'inéluctables erreurs et souffrances : cinquante mille ans de souffrance et de peine.

La morale « prospective », ensemble des principes élaborés par l'homme pour accroître l'adéquation au réel de ses options Faire mieux que l'instinct. Faire mieux que la morale traditionnelle. Durer et progresser. À l'échelle des siècles et des grand nombres, la morale doit orienter la décision non informée ou mal informée, moins mal que l'instinct et que l'impulsion de 1a pensée courante.

L'effort moral, la vertu. L'amour, vertu ambiguë. L'effort moral : lutter contre la prépondérance naturelle de l'idée unique elle-même en général erronée parce que en général commandé par le court-terme.

Le devoir d'information scientifique. Le devoir de reconnaître les lacunes de l'information scientifique. La prudence La patience.

L'art et la morale. En regardant Dijon de la voie de Genlis ; la puissance sans la beauté; le désarroi.

Je sais bien peu et bien mal. Ces pages ne sont que les réflexions d'un homme moyen. Puissent-elles aider les autres hommes dans leur propre réflexion.

L'homme existe dans un monde inhumain, hostile, trompeur ; il doit décider dans l'ignorance les choix qui font sa vie et celle de sa race. Ces choix sont souvent si désaccordés au réel que les pires maux en résultent ; mais cependant l'histoire est millénaire. L'ensemble de la vie est dans cette même situation. Et cependant la vie est la féerie de la matière.

Le trait dominant de la condition humaine, c'est peut-être que la signification du monde et son but ne sont pas évidents... L'idée que la science d'aujourd'hui permet ou oblige de se faire de Dieu... Ce Dieu cosmique qu'imaginaient déjà saint Jean et les bénédictins de Moissac.

1966. Une enquête sur la scolarité...

Sur cent garçons, fils de polytechniciens ou de centraux, avant dépassé l'âge de 25 ans, vingt n'ont pu obtenir le baccalauréat complet ; vingt ont atteint le niveau du diplôme de leur Père.

1966. Exposé au Congrès des économistes de langue française

Le prix du lapin et le prix du poulet.

1967-1968. Hommage aux cigales. Le Figaro, 1967 et 1968

La carte de l'habitat des cigales en France.

1970. L'O.S. et le Conseiller d'État, Le Figaro, 1970.

1970. Lettre ouverte à quatre milliards d'hommes

Rechercher ce que la science nous apprend de la condition humaine, ce qu'elle laisse et laissera sans réponse.

Que fera cet homme, puissant sans sagesse ? Pour l'homme, tout ce qui est acquis perd sa valeur; tout ce qui ne l'est pas encore, mais est sur le point de l'être, déclenche le désir, et ainsi non seulement l'effort, mais souvent la passion, la fureur, la haine, la violence.

Les bornes du possible ayant reculé sous d'autres travaux que les nôtres, la distinction entre le possible et l'impossible s'efface. Chacun se forge une image de ce que devrait être la vraie vie, et s'indigne de ne rien en retrouver dans la vie vraie.

L'ignorance individuelle des connaissances collectives.

La nécessité de tenter, même maladroitement et médiocrement, des bilans de la science.

Les trois résultats majeurs de la science. Immensité du cosmos. Complexité mouvante. Originalité de chacun des milliards d'êtres et de leur devenir.

Les trois types de comportement temporel des systèmes autonomes.

Ce bilan (de la science) n'est-il pas décevant ? Un triomphe matériel, et non seulement un échec, un désastre spirituel. L'univers demeure un mystère numineux et fascinant.

La recherche de théories « unitaires » et l'unicité de la pensée claire La réalité rugueuse à étreindre.

Les conflits du rationnel et de l'expérimental. La déroute du « bon sens ». L'éclatement du rationalisme en rationalismes.

De toutes les sciences nécessaires à définir la condition humaine, la biologie est prépondérante.

L'aptitude de l'atome à engendrer la vie. À chaque niveau d'organisation émergent des propriétés et des aptitudes nouvelles.

La discipline de l'organisation. « Si le pied disait, je ne suis pas la main... ». Individualité, originalité et autonomie.

Le contraste entre l'acquisition de la science qui se fait et l'enseignement de la science formée; ici tout n'est qu'ordre et beauté; là tout est combat pour imposer à l'ensemble des humains des réalités ignorées par eux depuis plus de 50 000 ans qu'il y a des hommes et qui pensent ; n'importe quel cancre se gausse de ses millions d'ancêtres qui ne savaient pas que la terre est ronde. Le cosmos sauvage décrit comme ânon docile.

Néocéphale et paléocéphale ; raison et instinct; planification et marché. Que deviendrait notre corps si notre pensée claire prétendait se substituer aux « systèmes intégrateurs » inconscients, qui maintiennent tant bien que mal nos équilibres physiques et chimiques ?

La physique n'a pas pallié le silence de la divinité. La science n'a pas percé le mystère de l'être. La science nous apprend peu à peu comment nous sommes là; elle ne nous apprend et ne peut nous apprendre ni pourquoi nous sommes, ni où nous devons aller.

La masse des hommes suit, à cent ans de distance, le même itinéraire spirituel  que les philosophes et les savants. Aujourd’hui tous les intellectuels sentent le « mystère formidable qui nous entoure et l'insignifiance des explications qui nous sont fournies » ‑ « Beaux jardins, arbres verts, vous me tuez la vie… Pourquoi vous taisez-vous en écoutant mes pleurs ? »

Une religion pour les « prix Nobel ».

1971. Marcel Proust et les sciences de l'homme, Le Figaro, 1971.

1972. Faillite de l'Université

L'orientation scolaire et la prévision de l'emploi.

L'université et l'esprit scientifique.

On enseigne à l'Université les résultats de la science; on ne parvient pas à y enseigner l'esprit scientifique expérimental.

On n'y a pas et donc on ne peut y donner conscience de l’ignorance humaine. (Cf. ci-dessus, 1966).

Mathématiques de l'ordre et mathématiques de la quantité. Mathématiques  surréelles et mathématiques réelles (l'œil d’Horus).

Le bombardement d'information est sans doute l'une des causes des médiocres résultats de l'école, aujourd'hui. Apprendre à traiter l'information, à reconnaître les lacunes de l'information, à acquérir des informations non encore connues.

Interrogation sur les valeurs qui font durer l'humanité. Les valeurs qui font progresser ne sont pas les mêmes que celles qui font durer. L'école n'enseigne pas les valeurs qui font durer l’humanité.

1973. La messe de onze heures à Saint-Eustache, Le Figaro, 24 mars 1973

Les erreurs de l’Église en France. Les besoins religieux du peuple. La nécessité pour la foi de la continuité des rites. Mon Dieu, c’est Dieu le Père. Une religion, c'est un rite plus une conception du monde : un rite nécessaire au paléocéphale, une conception du  monde accordée au néocéphale. Les hommes ont besoin pour  vivre d'une explication de l'inexplicable : une compréhension par le surnaturel de ce qui, dans le naturel, est inexplicable par le naturel... Il subsiste à Paris des paroisses qui permettent l'espérance.

1973. Lettre ouverte aux théologiens, Le Figaro des 5 et 6 juillet 1973

La « présence » de l'Église à un monde égaré, égare l'Église.

La réalité de la religion populaire. L'humanité n'est pas encore adulte.

Les limites de la science. Le réel ne suffit pas à expliquer le réel. La voie du surréalisme.

L'échec de l'aggiornamento. Les causes de l'échec ; les erreurs majeures : la sécularisation, le populisme, le formalisme, le passéisme.

La révélation se poursuit par et dans les sciences expérimentales.

Appel aux théologiens pour qu'ils renoncent à leurs indéfinis débats exégétiques, et pour qu'ils considèrent simultanément la mystique chrétienne, les résultats et les interrogations de la science expérimentale.

En somme, au début de la crise (vers 1500)), l'Église refusait de donner une place à la science dans la conception du monde ; au XIXe siècle, à l'inverse, la science en vint à refuser de laisser une place à la religion. Aujourd'hui, la science reconnaît son impuissance à « tout » comprendre. Il reste à la religion à reconnaître la science et sa valeur de Révélation.

1973. Le courrier de la messe de onze heures, Le Figaro, 23 septembre 1973

Sur l'Église mourante, le Campistron pullule.

1973. L'Église a-t-elle trahi ? Le Figaro, 21 novembre 1973

Évangéliser aujourd'hui, ce devrait être dire : le monde sans Dieu est absurde; l'humanité sans Dieu est acculée à la frénésie, au déchirement, au désespoir indéfini, à la destruction... Mais Dieu, à toute époque, a fait connaître aux hommes ce qu'ils pouvaient savoir, ce qu'ils devaient savoir, pour subsister, pour exister, pour progresser.

1973. La fin des temps faciles, Le Figaro, 20 décembre 1973

La fin de la période 1945-1973 où la croissance économique était facile en Occident.

Ce sujet, important pour l'avenir de la France, a été traité dès l’année scolaire 1973-1974 dans les cours de « Sciences Po » et du Conservatoire et repris dans les conférences et textes intitulés Le dernier quart du XXe siècle ou La fin des temps faciles.

1947-1977. Comment mon cerveau s'informe

Le cerveau sélectionne les informations. Pensée spontanée, pensée rationnelle, pensée expérimentale.

Le fait majeur qui me paraît dominer la pensée chez l’homme est ce que j'appelle l'unicité de l'idée claire, c'est-à-dire le fait tout simple que je ne puis pratiquement avoir qu'une seule pensée claire à un moment donné du temps. Par exemple, je ne puis écrire que cette ligne de mon texte, et vous ne pouvez en lire davantage en cet instant.

La pensée, acte incomplet ; acte microphysique ; acte retenu.

Information génétique et information culturelle.

La hiérarchie des organes et des circuits cérébraux. Les trois fonctions du cerveau : perception, stockage, traitement des informations. Vitesse de la pensée, durée nécessaire aux fonctions cérébrales. La durée du présent.

Pensées claires et pensées latentes. Le cerveau, de la perception à l’action. La décision. L'énergie cérébrale; l'émotion. La volonté amplificateur de la pensée microphysique en action macrophysique. La fédération des organes et des pensées latentes.

La morale, facteur de décision, prolongement de l'information génétique. Du code génétique au code culturel.

La notion de psychologie informatique.

Les cloches de la cathédrale de Cologne. L'idée multiple chez le pigeon. Pauvreté de l'expérience du « moi » qu'a le « je ». La pensée et la nuit. Refus d'information et refus de douleur. Le réel est un traumatisme pour l'esprit.

Le rire, la répétition, le rationnel, la prévision.

Toute molécule cérébrale pense.

Formation évolutive des circuits informatiques cérébraux. Circuits à haute conductance et circuits à haute résistance : idées fixes (accaparant la conscience claire) et idées difficiles à rendre conscientes.

L'oiseau et l'expérience du réel. Pourquoi l'homme pense plus spontanément au pouvoir de faire qu'aux moyens de faire et aux moyens qui donnent ce pouvoir. Pourquoi il ne trouve pas d'emblée, en général, les solutions les meilleures pour résoudre les problèmes qui se posent à lui.

Le changement temporel, facteur décisif de la difficulté de connaître le réel. Les effets de nos actes ne peuvent en général être connus de nous.

L'idée unique en algèbre. Notion de prépondérance et procédures d'organisation des informations.

Comment le « je », pour faire mieux que l'instinct, doit se donner des règles surréelles.

Les trois registres de « l'ordinateur » cérébral.

1974. Le dernier quart du XXe siècle

Le dernier quart du XXe siècle sera très différent du troisième.

Depuis que la science expérimentale met au service de nos décisions la formidable puissance des techniques... les réussites et les erreurs des hommes sont amplifiées au point de donner à notre époque un caractère frénétique et démesuré...

Tout homme désire un régime politique et social où spontanéité, efficacité, liberté, égalité, haut niveau de vie, faible durée de travail, loisirs, bonheur enfin, seraient simultanés et complémentaires ; en fait, ces divers éléments sont, sinon incompatibles du moins antagonistes et contradictoires. La condition humaine implique des compromis contraignants entre ces aspirations.

Ni l'égalité, ni la justice ne sont des buts de l'être; ce sont des modalités, ou au mieux des conditions. Que feront les hommes quand ils seront égaux ? Que feront-ils quand la société sera juste ?

À mesure que nous devenons plus puissants, à mesure que nous acquérons les moyens de vivre, nous en perdons la joie...

Le législateur même ne maîtrise pas sa législation... Le droit, alloué ou refusé par le règlement, est tributaire des erreurs, des lacunes et des contradictions de ces rationalités enchevêtrées... Non, nous n'approchons pas du jour où la justice sera assez prioritaire pour rendre la charité sans objet. (Thèmes repris dans La réalité économique, 1978).

1976. Le long chemin des hommes

Les motivations qui ont suscité mon œuvre s'expriment aisément : j’ai voulu-savoir où j'étais... Il me fallut environ quinze ans (après la fin de mes études universitaires) pour découvrir que l’humanité est étonnamment loin de connaître tout ce que des applications simples de la méthode expérimentale pourraient lui apprendre. Peu à peu je découvris que l'humanité d'aujourd’hui vit dans un abîme d'ignorance à peine moins profond qu’aux temps de Cro-Magnon ; peu à peu je constatai que l'humanité ne sait rien de ce qui lui importerait le plus de savoir... « L’homme ne sait rien de l'homme et le peu qu'il pense savoir est incompréhensible. »

La mutation est impossible si le « milieu » n'y est pas favorable. Mais aussi le milieu le plus favorable est impuissant à engendrer une mutation, si n'existe pas dans ce milieu un être, un « système » apte à muter ainsi. De sorte que l'évolution suppose une étrange aptitude des atomes à entrer en « organisations », en « organismes » complexes, à engendrer la vie, — et une non moins étrange et concomitante succession de milieux favorables, tirant ces organismes dans le sens de la complexité croissante.

Le « progrès » biologique qui semble donc se faire dans le sens d’une complexité croissante, ne semble pas se faire dans le sens du bonheur croissant des êtres.

Quelques indications sur un cosmos monstrueux, notre « finitude » confrontée à l'infini et à l'éternité, quelques indications sur le fait et le comment de l'évolution. Rien sur le pourquoi  des choses, rien sur leurs buts, rien sur le rôle de l’homme perdu dans cet univers, dont nous pensions naguère qu’il était fait pour nous... Le réel ne suffit pas à expliquer le réel.

La nécessité de décider consciemment sans disposer d'une information suffisante... L'instinct a fait ses preuves à très long terme ; la raison, le néocéphale n'ont pas fait leurs preuves à la même échelle du temps.

Le cerveau ne peut ni reconnaître aisément les lacunes de son information, ni pallier ces lacunes... Cependant, l'homme dispose, pour réduire le nombre et la gravité des erreurs de ses décisions néocéphales, de toute une série de « garde-fous » (les valeurs morales, les fois religieuses) ; certaines de ces valeurs et de ces fois ont fait la preuve de leur efficacité, en assurant la survie, à l'échelle des millénaires, de certains peuples et parfois même leur « progrès ».

Les trois produits « naturels » du cerveau : le rêve, le rationnel, l'expérimental.

Ce n'est pas le réel que nous percevons, mais l'invention que notre néocéphale nous en propose. Ce n'est que dans de cas exceptionnellement rares, et qu'il faut humblement et laborieusement vérifier par les sens, que l'invention représente correctement, quoique toujours approximativement et partiellement, le réel.

Les deux armes dont l'homme dispose pour échapper l'absurde : la méthode scientifique expérimentale et la conception d'un surréel accordé au réel.

Les trois types de bonheur humain; la joie, la sagesse, le martyre.

Du trépas à la mort : le dérisoire de la désorganisation détruit la dignité de l'organisation.

C'est lorsque et parce que la révolution échoue qu'elle devient dictatoriale.

La peur, l'angoisse, sont des procédures efficaces, usuelles, banales de gouvernement. Les quatre cinquièmes des hommes vivant aujourd'hui, et peut-être les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des hommes ayant vécu sur cette terre, ont été sujets de maîtres despotiques...

Il y a aujourd'hui, dans le monde, 5 riches pour 30 pauvres ; chaque riche consomme 50 kg de viande par an ; chaque pauvre moins de 5 kg. L'égalisation planétaire du pouvoir d'achat impliquerait une réduction de 5 à 1 du niveau de vie occidental.

L'humanité d'aujourd'hui est semblable à un vaste hôpital où tout le monde se plaindrait de souffrir injustement... L'humanité en est venue à une période de son évolution où une réflexion et une information sur ses fins dernières sont nécessaires à sa survie... Il ne s'agit plus de donner aux hommes à travailler et à consommer, il faut leur donner à vivre. L'insignifiance exclut à la fois le bonheur et la rationalité.

La science a détruit la religion populaire après la religion des savants. Mais aujourd'hui la reconnaissance des limites de la science conduit à la réconciliation de la science et de la religion. La science se « débloque » elle-même par la considération de ce qu’elle ignore, par la considération de la relativité du temps et du « surexpérimental ».

Le réel est ce que l'homme peut percevoir par l'expérimental (observé). Le surréel vrai est ce que l'humanité peut parvenir à connaître par le « surexpérimental » (observable dans le très long terme). La « surexpérience » fonde le surréel vrai.

Toute « création » est lente et longue pour le sujet créé. La continuité de la chaîne de l'évolution n'élimine pas le mystère de l’existence de cette chaîne. La nature avec Dieu est une Histoire : la nature sans Dieu est un miracle.

La science, élément de la Révélation : déduire de l'histoire de la création une image du Créateur.

Il s’agit de reconstruire, par l'alliance de la science et de la religion (de la physique et de la métaphysique), une conception cohérente du monde.

Rien n’est moins expérimental que la pensée des hommes de ce siècle où l’économie, la société, la culture et le milieu de vie ont été transformés par la science expérimentale... Les comportements quotidiens, les conceptions politiques, morales et philosophiques n’ont  été modifiés ni par la méthode scientifique, ni par les grands résultats de la science : ces conceptions restent celles du siècle dernier.

1976. Les intellectuels et le réel, Diogène[2]

Les intellectuels croient toujours en une rationalité suffisamment « pure » pour pouvoir rendre « l'expérimentalité » inutile… Chez eux, comme chez Platon, comme chez Descartes, la notion de vérité voile celle de réalité. Le prestige reste au philosophe, au mathématicien, au politique, qui élabore et enchaîne des concepts abstraits, et reste mesuré au praticien qui confronte ces concepts avec le réel... On estime davantage l'homme qui invente que l'homme qui découvre.

1976. Rapport du président du Groupe de réflexion sur l'enseignement des sciences humaines et économiques dans le second degré

Un des traits majeurs de notre éducation scolaire est l'exclusion... de toute la part de la condition humaine qui est la plus caractéristique de la condition humaine. L'élève, comme tout homme, vit dans un monde de passion, de souffrance, de violence et d'erreur, l'école ne lui parle que de rationalité, certitude... À suivre l'école, tout est clair, tout s'explique par causes et effets, le réel est connu, l'homme est informé, puissant, efficace ; à vivre la vie, tout est ignorance, imprévision, incohérence... La belle ordonnance des sciences et des mathématiques est coupée de la vie.

1977. L'homme nouveau, l'enfant nouveau

Revue internationale de la coopération, 1977 (repris dans La réalité économique, 1978).

1977. L'homme en question, juin 1977

Les trois œuvres majeures de la peinture occidentale : La sépulture du Comte d'Orgaz ; L'amour sacré et l'amour profane; La junte des Philippines.

1977. Vers la révision des idées dominantes en France, Le Figaro, du 14 au 18 novembre 1977. (Thème repris dans La réalité économique, 1978.)

La conception que l'homme se fait de l'homme évolue : de l'âme humaine au cerveau humain.

1978. La réalité économique

Dans les sciences humaines, seul le réel est un « modèle correct du réel.



[1] Léon BLUM, éditorial du Populaire du mardi 6 septembre 1940. Voir aussi les éditoriaux des 24 novembre et 6 décembre 1949.

[2] Diogène est la revue du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines ; dirigée par Roger Caillois, elle est éditée simultanément en français, en espagnol et en anglais.