jean fourastie

Claude Gormand a effectué un certain nombre de relevés de prix qui figurent dans la rubrique "Statistiques de prix" du présent site. Il livre ses réflexions récentes sur le prix du voyage Paris-Londres et souligne en même temps combien il est difficile de connaître les prix.

 

En feuilletant le livre de Jean Fourastié, L’Évolution des prix à long terme, on découvre avec étonnement et enthousiasme les tarifs de Paris-Londres en avion de 1919 à 1960.

Cette liaison était considérée comme significative, car, à cette période, le moyen le plus rapide pour  traverser la Manche et rejoindre Londres (et inversement) était la ligne aérienne, même si, de 1956 à 1980, un service de la SNCF, « la Flèche d’argent », a relié Paris et Londres en combinant le train (de la gare du Nord à l'aéroport du Touquet  et l'avion (vers Londres Gatwick, Southamton ou South end) ; il a concurrencé cette liaison aérienne de 1972 à 1980.

 

Le tarif de 1919 a un caractère particulier, car c’est le 8 février 1919, Lucien Bossoutrot, pilotant un Farman Goliath, a inauguré la première ligne aérienne commerciale entre Paris et Londres avec un vol de 2 h 37 (exactement entre Toussus-le-Noble et Kentley).

Le trafic de la liaison n’a cessé de croître depuis, dépassant les 4 millions de passagers. Pour traverser la Manche, c’était le moyen de transport le plus rapide qu’empruntaient une clientèle dite professionnelle (ou plus couramment classe affaire) et des touristes aisés.

Mais en novembre 1994, un sérieux concurrent de l’avion est apparu avec l’Eurostar, grâce au tunnel sous la Manche. Avec une durée de transport ferroviaire de 2 h 35 entre la gare du Nord (Paris) et la gare Waterloo (Londres), le trafic aérien a chuté sérieusement. La durée de vol est inférieure à une heure, mais les temps d’accès aux aéroports et attentes (douanes, etc.) affectent sérieusement le transport aérien.

De nos jours, pour se rendre à Londres de Paris, deux solutions de transport direct sont possibles : l’Eurostar et l’avion. L’Eurostar part du centre-ville de Paris (gare du Nord) et arrive 2 h 15 plus tard dans le centre-ville de Londres (gare Saint-Pancras King Cross). Mais les voyageurs peuvent aussi choisir l’avion ; ils doivent alors se rendre à Roissy CDG ou Orly avec des moyens de transport assez longs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le transport aérien se maintient, certes avec moins d’offre, mais il est encore présent.

L’Eurostar propose en 2016 environ 28 000 sièges par jour (27 714) avec 15 trains Paris-Londres et 16 Londres-Paris, tandis que le trafic aérien propose environ 9 300 sièges par jour avec 33 vols Paris-Londres et 31 vols Londres Paris répartis respectivement : 23 de Charles de Gaule et 10 Orly, et 22 vers CDG et 9 vers Orly. À Londres, on arrive ou on part de quatre aéroports : Heathrow (19 arrivées et 17 départs), Luton (5 arrivées et 5 départs), Gatwick (4 arrivées et 4 départs) et l’aéroport City (5 arrivées et 5 départs).

 

Il y a beaucoup de transferts d’aéroport à aéroport provenant des vols long-courriers. Les principaux aéroports de Paris (CDG et Orly) et de Londres (Heathrow et Gatwick) sont des plates-formes de correspondance appelées couramment « hubs ». Les compagnies aériennes, en accord avec Air France ou British Airways, effectuent leurs vols long-courriers de Paris ou Londres et font transiter les passagers sur ce tronçon pour augmenter le trafic[1].

En 2016, l’Eurostar propose trois fois plus de places que les compagnies aériennes. Mais à titre de comparaison, en 1953, on dénombrait sur cette liaison aérienne (Londres-Paris et Paris-Londres) seulement 810 sièges avec 19 fréquences par jour (soit 38 allers ou retours) et le prix du billet était de 139 shillings, soit environ 6770 francs (anciens) ou 50 salaires horaires[2].

On peut constater sur cet exemple que suivre les prix dans le temps demande une certaine analyse.

Evolution du billet (aller) PARIS-LONDRES

 

 

 

Avion

Prix

Eurostar

Prix

Année

salaire

Prix

réel

Prix

réel

 

horaire

en FRF et €

(salaires horaires)

en fr et €

(salaires horaires)

1919

1,00

750

750,00

 

 

1925

2,12

375

176,89

 

 

1930

3,33

427,5

128,38

 

 

1935

3,15

405

128,57

 

 

1939

5,95

607,5

102,10

 

 

1946

29,45

3000

101,87

 

 

1950

81,88

7110

86,84

 

 

1955

155,75

5760

36,98

 

 

1960

2,35

113

48,09

 

 

1965

3,36

131

38,99

 

 

1970

5,02

166

33,07

 

 

1975

11,30

293

25,93

 

 

1980

21,22

435

20,50

 

 

1985

36,89

850

23,04

 

 

1989

42,83

945

22,06

 

 

1994

51,03

 

 

395

7,74

1995

58,03

395

6,81

395

6,81

1998

63,71

 

 

395

6,20

2003

11,22

 

 

34,5

3,08

2016

15,47

54

3,49

50,5

3,26

 

Sources : Jean Fourastié, L’évolution des prix à long terme, PUF, 1966, et prix relevés OAG (Air Travel Intelligence) et autres.

 

Les prix n’ont fait que baisser, d’où l’accroissement du trafic. Sans tenir compte de celui de 1919, exceptionnel, lors de l’apparition des vols commerciaux (plus de 30 fois celui des années 80), mais en partant de la fin de la seconde guerre mondiale, les prix réels ont été divisés par quatre, puis, avec l’apparition des avions de plus grande capacité (début des années 60), par deux. Cet exemple explique la démocratisation du transport aérien.

Dès l’apparition de la concurrence avec l’Eurostar, les prix en salaires horaires ont été divisés par sept. D’où l’importance d’analyser avant de comparer.

Il est assez difficile de déterminer les prix actuellement aussi bien pour l'aérien que pour l'Eurostar. Les catalogues n'existent plus et sur Internet les prix varient selon les dates et heures. Nous avons retenu pour 2016 les prix les plus bas, pris longtemps à l'avance en période creuse.

Les tarifs aériens - comme les tarifs de l'Eurostar - sont actuellement fixés par les compagnies en observant la concurrence (aérienne, ferroviaire et autres), les statistiques de trafic (vols précédents avec les taux de remplissage et les tarifs appliqués), en tenant peu compte des coûts opérationnels (carburant, frais personnels, taxes, marges, etc.) mais en optimisant au mieux la recette. Le tarif évolue donc dans le temps précédant le vol avec parfois des lancements de promotions pour accroître le trafic.

La démarche est commerciale, et non technique[3]. « Le prix d’un billet n’a plus rien à voir avec les coûts d’un vol, mais tout avec le marché et la demande », d’après un responsable de la compagnie Air France-KLM[4].

 Dans son livre, L’évolution des prix à long terme, Jean Fourastié écrivait en 1969 :

« Le cas des transports est l’un des exemples où le prix réel d’un service baisse de façon considérable. Cela s’explique par le fait que ce prix subit l’influence de la révolution industrielle tant dans l’invention et la mise en service du chemin de fer, de l’avion…, que, ensuite, dans l’amélioration et le perfectionnement constants de ces différents moyens de locomotion ».

Ces quelques lignes sont confirmées aujourd’hui.

Les recherches concernant les séries de prix de Jean Fourastié et de son équipe obligent à regarder l’histoire tout en restant significatives.

Pour faire ressortir les nombreuses séries, pour la plupart numérisées, il est nécessaire de les mettre à jour en les complétant et actualisant avec les nouveaux produits ou services. Dans l’exemple choisi, ne pas parler de l’Eurostar serait une erreur d’objectivité alors que son trafic représente plus de 80% des passagers[5]. D’autres exemples sont à venir.



[1] Les compagnies associées sont :

Pour Air France : Delta, Air Austral, China, Air Mauritius, Kenya, Aero Mexico, Gol. et Korean Airlines ;

Pour British Airways : American Airlines, Iberia et Air Berlin.

Les compagnies « low cost » sont Easy jet et Vueling ; celles qui desservent la City sont City jet et Fly Be.

[2] Stephen Wheatcroft, The Economics of European Air Transport, Manchester University Press.

[3]  Jean-Pierre Chanial, Mais comment le prix d’un billet d’avion est-il fixé ?Le Figaro, vendredi 11 mars 2016.

[4] Michel Waintrop,  Comment se fixe le prix d’un billet d’avion ?, La Croix, lundi 27 juin 2016.

[5] Ainsi, on pourra retrouver les deux séries sur le présent site (Statistiques de prix/Secteur tertiaire, Services/Transports).