jean fourastie
Jean Romeuf a chargé Jean Fourastié de présenter le mot « croissance » dans son dictionnaire des sciences économiques de 1956. Ce texte qui suit montre l’évolution de la pensée à ce sujet. Aujourd’hui le mot est employé sans cesse au sens de la croissance économique, mesurée par la variation relative du Produit Intérieur Brut (PIB). En 1956, on parlait peu de croissance en économie ; Jean Fourastié pensait que ce mot n’y avait aucun avenir ; en cela il se trompait ! Pour lui, ce mot a certaines résonances favorables, car il s'oppose à la théorie de cycles ou au retour à la situation passée. Par contre, il met en garde contre les difficultés de mesure : entre deux dates, la monnaie change, la structure de la production également et par conséquent la mesure du pourcentage d’augmentation est peu fiable ; elle n’est pas la même selon la date de référence choisie pour les calculs. En cela Jean Fourastié ne se trompait pas, et l'on y songe rarement ! Même en nos temps d’inflation faible, il y aurait des divergences de résultats si on choisissait des années de référence différentes.
Dans La réalité économique, Jean Fourastié explique le profit à partir de la rente de Ricardo. Quand on parle de profit, on voit le gros propriétaire qui s’enrichit sur le dos de ses pauvres salariés… Mais la première question à se poser est : comment se fait-il que le profit puisse exister ? Et la suivante : comment vient-il ?
Publié dans Idées majeures, 1966, cet article reflète la pensée économique de Jean Fourastié à cette époque et reste en grande partie valable pour ce début du XXIe siècle.
Ce thème : « Une économie à la mesure de l'Homme », qui m'est proposé par M. Roger Millot[1], évoque un vœu familier à notre génération ; mais il aurait étonné nos grands-pères et même nos pères.
En effet, jusqu'à ce récent passé, l'économie n'était pas à la mesure de l'homme, mais de la nature, et, je dirai, pour marquer mieux encore les tendances, à la mesure de la matière. Ce qui domine l'histoire de l'humanité, ce n'est pas le comportement de l'homme ou ses besoins, mais au contraire le comportement de la matière, c'est-à-dire le volume et la constitution physique des biens que la nature fournit à l'homme.
Cette conférence de 1956 sur le travail n’est-elle pas prophétique ? Elle annonce la hausse future du niveau de vie, en même temps qu’elle prévoit que les hommes ne deviendront pas plus heureux et que, notamment, ils aimeront moins leur travail, parce que celui-ci leur paraîtra étranger, imposé, et ne sera plus intégré à leur vie.
Plus je vieillis, plus je travaille les questions économiques et sociales, et plus je pense qu'il y a un véritable contresens, une cassure profonde, un divorce dramatique, entre la pensée de l'homme et la réalité du monde moderne. Je veux dire : entre l'image intellectuelle que nous nous faisons des choses et la réalité même des choses.
Dès 1956, dans la conférence reproduite ci-dessus, L'enthousisame au travail a-t-il disparu ?, Jean Fourastié avait trouvé cette formule frappante : Atala travaille chez Citroën. C’est le choc de l’humanité traditionnelle, habituée au travail de la terre, lent et paisible, avec le machinisme et le stress qu’engendre le progrès technique.
On peut compléter la conférence avec le texte suivant, de La grande Métamorphose (1966).
Hélas ! Ce handicap [celui de l’unicité de la pensée claire] n'est pas le seul qui s'oppose à la découverte du réel par l'homme. Je dirai un mot du fait de l'infinie diversité des humains et de la coexistence de types différents d'humanité, que je schématise en Atala et Citroën et Sartre. Puis je développerai plus longuement le handicap qui me paraît prépondérant, plus lourd de conséquences et, à cause sans doute de cela, plus caché, plus ignoré, plus méconnu encore que l'R de Garches : l'unicité de la pensée claire.