Alfred Sauvy, une pensée d'une brûlante actualité

Bulletin de la Société des Amis de la Bibliothèque et de l'Histoire de l'Ecole Polytechnique (Sabix)

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jean fourastie

Qui d’entre nous eût pu imaginer qu’Alfred Sauvy avait une vie en dehors de la démographie ? Et pourtant, grand sportif, capitaine de l’équipe de rugby du Racing Club de France entre les deux guerres, humoriste, collaborateur de Tristan Bernard, ami intime de Jacques Tati qu’il contribua à lancer, statisticien, résistant courageux, éminent bibliophile : il semble avoir vécu plusieurs vies, et si intenses que chacune aurait suffi à occuper une existence bien remplie1. Et il ne s’est consacré à la démographe qu’assez tardivement, presque par hasard.

Quant à ses idées, elles apparaissent incomparablement plus riches et diverses que la seule défense entêtée des politiques natalistes que beaucoup gardent en tête. Souple, variée, parfois foisonnante tout en restant rigoureuse et claire, la pensée de Sauvy est orientée en permanence vers le long terme, ce qui la conduit souvent à des conclusions d’une actualité surprenante. C’est ce qui a conduit à choisir le sous-titre de ce bulletin : « une pensée d’une brûlante actualité ».

 

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La vie d’Alfred Sauvy (1898-1990) se confond presqu’avec le vingtième siècle, dans toutes leurs étendues respectives.

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Bibliographie restreinte aux ouvrages de plus de 100 pages et aux éditions originales

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La bibliothèque centrale de l’École polytechnique détient plusieurs ensembles importants de livres et documents liés à Alfred Sauvy :

La bibliothèque personnelle d’Alfred Sauvy, constituée de 1 300 volumes du XVIe au XIXe siècle, traitant tous de sujets liés à la démographie telle que la concevait Sauvy : économie, vie et mœurs, politique… Cette bibliothèque a fait l’objet en 1994 d’une dation à l’École polytechnique, grâce aux efforts menés notamment par Maurice Bernard, d’abord en tant que directeur de l’Enseignement et la Recherche de l’École puis comme président de la SABIX, et Mme Francine Masson, directrice de la bibliothèque

Une partie des archives personnelles et privées d’Alfred Sauvy (don en 1994-1995 d’Anne Sauvy-Wilkinson qui a immédiatement suivi la dation de la bibliothèque). Le reste de ces archives se trouve au Centre des archives du ministère de l’Économie et 

Je présenterai successivement dans cet article ces deux ensembles de livres et documents, puis j’aborderai quelques aspects de la pensée et de l’action de Sauvy au travers de documents conservés à l’École polytechnique

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Alfred Sauvy avait l’habitude disciplinée de rédiger une fiche pour chacun des livres de sa bibliothèque personnelle1. Cet ensemble de deux milliers d’ouvrages se trouve à présent à la Bibliothèque centrale de l’École polytechnique, à la suite de la dation effectuée en 1994 (donc encore du vivant de Sauvy), qui fut pilotée par Maurice Bernard et Jean-Pierre Changeux. La majorité de ces livres, qui reflètent les intérêts dominants d’Alfred Sauvy, démographie et économie, sont du dix-huitième siècle, sa période de prédilection – lui aussi était un homme et un penseur des Lumières.

Chacun des livres était donc doté d’une fiche résumant son contenu, notant des points intéressants et la pagination idoine. L’accompagnent en général des données bibliophiliques, découpées dans des catalogues de livres anciens, issus de librairies spécialisées.

Le travail est impressionnant par son ampleur. Un ordre de grandeur du temps investi ? 2.000 livres à raison d’une dizaine d’heures de lecture pour chacun, y compris le temps de noter les points principaux et un bref sommaire, cela équivaut à une vingtaine de milliers d’heures que Sauvy consacra, chez lui, à sa passion du soir et des weekends ; soit entre deux et trois ans au total. Sauvy trouvait-il le temps de dormir, entre ses multiples travaux d’écriture et sa voracité de lecture ? 

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Dès 1929, « le monde d’illusions, de naïveté » qui est celui des responsables le conduit à décider « l’objectif… de toute sa vie : « éclairer l’action ». Dès les années 1930, Alfred Sauvy choisit comme titre d’une chronique une formule correspondant à la vocation de sa vie : « De la lumière ». Il débute cette chronique en rappelant que la formule « De la lumière, de la lumière ! » est le cri qu’aurait prononcé Goethe avant d’expirer. L’objectif d’Alfred Sauvy est donc clairement arrêté : « De la lumière » devrait être dans une démocratie bien ordonnée le mot d’ordre de tous les partis, qu’ils soient de droite ou de gauche. La dictature, c’est moins une extension du pouvoir exécutif que la possibilité de dissimuler ses actes, d’en fausser la portée et par suite la suppression du contrôle de l’opinion publique, souvent plus efficace que celui du Parlement ». Toujours dans les années 1930, Alfred Sauvy déplore le faible intérêt porté par les responsables politiques aux statistiques, qui peuvent être un extraordinaire « instrument de prospection ».

Plus tard, il formule ainsi ce qu’il découvre à cette époque : « Le contraste est affligeant entre les progrès de la science, de la technique et l’ignorance de la population, laquelle, en régime de démocratie parlementaire, tout au moins, commande aussi celle des états-majors, et influe même sur les techniciens, terrorisés à l’idée de se faire traiter de technocrates ou de conservateurs »

 

Au fil de ses travaux, Alfred Sauvy énonce le décalage entre le fruit de ses observations et les mentalités. « Les chiffres et les indices ne suffisent certes pas à résoudre tous les problèmes, mais l’ignorance à leur égard ou leur connaissance imparfaite et déviée sont un moyen sûr de commettre de grandes erreurs, d’autant plus dangereuses que les conséquences n’apparaissent qu’à la longue et sont attribuées à d’autres causes. Le corps économique est, en ce temps, moins bien traité encore que ne l’était le corps humain, au temps des médecins de Molière ».

Ainsi, Alfred Sauvy s’inquiète des « puissants » qui « cherchent en tous pays à plaire plus qu’à éclairer et négligent singulièrement l’art d’éclairer tout en plaisant »6. La méthode d’Alfred Sauvy est donc subordonnée à l’objectif consistant à faire la lumière, ce qui suppose une grande méfiance envers la théorie.  

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Alfred Sauvy tenait à rencontrer les jeunes chercheurs quand ils étaient engagés à l’INED, l’institut national d’études démographiques qu’il avait fondé et qu’il a dirigé jusqu’à sa retraite en 1964. Il y avait conservé un bureau comme conseiller et responsable de la revue Population. À mon arrivée en 1967, j’avais donc pris rendez-vous avec lui. Un immense classeur occupait l’un des murs de son bureau. Quand je suis entré, Sauvy rangeait dans certains casiers des articles du Monde qu’il avait découpés et des tirés à part qu’il venait de recevoir. Ainsi s’entassait dans ces petites cases tout ce dont il aurait besoin quand il lui faudrait écrire un article ou un chapitre sur l’évolution du PNB en Chine, la baisse de fécondité en Europe de l’Est ou la concurrence du rail et de la route.

Après les présentations d’usage, il me donna à lire une double feuille de papier. A gauche, un texte assez long et quelconque, à droite, le même, raccourci des deux tiers et deux fois plus clair. Le message était évident. Je devais m’appliquer à rendre compte de mes recherches le plus lisiblement et le plus simplement possible. Plus tard, en étudiant les premiers travaux de Sauvy, en particulier les deux articles du Journal de la société de statistique de Paris où il publia la première projection moderne de la population française, je me rendis compte qu’il avait effectué le parcours que décrivaient les deux feuilles. Ses premiers écrits étaient en effet laborieux et assez techniques. Encore en 1943, dans Richesse et population, son premier ouvrage de fond, le style est un peu lourd et pas toujours clair. Mais, dès les années 1950, sa prose s’allège, faite de courts paragraphes logiquement construits. Le public s’en rend progressivement compte. Un jour en 1980, Sauvy me dédicace son livre La machine et le chômage : le progrès technique et l’emploi. Il me dit en souriant que c’était la meilleure vente de sa carrière. Il allait sur ses 82 ans.

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Le travail noir et l’économie de demain d’Alfred Sauvy traite des causes, des conséquences et des manifestations du travail non déclaré avant de formuler quelques recommandations sur les réponses à y apporter.1

Disons-le d’emblée, l’ouvrage peut déconcerter le lecteur contemporain par son côté touche-à-tout. L’auteur ne se contente pas d’un parcours à travers l’histoire, de l’Antiquité aux années 1980, et l’espace (différents pays européens, les États-Unis, l’Union soviétique, la Chine…), il élargit aussi périodiquement son propos aux fraudes les plus diverses (la tromperie sur la marchandise, la contrebande, le marché noir, les comptes non déclarés à l’étranger…). Le livre est en outre un peu daté, et le lecteur qui s’intéresse aujourd’hui au travail non déclaré trouvera évidemment d’autres sources plus récentes sur le sujet (par exemple pour la France, les rapports de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale ou ACOSS).

Le livre fourmille en revanche d’éclairages sur la démarche et la pensée d’Alfred Sauvy. Alfred Sauvy manifeste l’importance qu’il accorde à la quantification et aux analyses coûts/bénéfices. Il propose des estimations du travail au noir dans les différents pays et postule par exemple l’existence d’un optimum dès lors que le travail au noir présente « des coûts matériels et moraux », mais aussi « divers avantages ».  

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En 1965, avec la sortie de son livre Les 4 roues de la fortune quelque peu provocateur et plein d’humour, mais surtout très bien documenté et riche de bon sens, Alfred Sauvy a soulevé une vive polémique. Les défenseurs et les lobbies de l’automobile ont répliqué avec force et véhémence à cette étude

Les termes du débat de l’époque sont simples et connus : pour Alfred Sauvy les pouvoirs publics ont préféré systématiquement les investissements en faveur de la route au détriment du rail et des autres moyens de transport. Ce choix d’une politique de transport largement en faveur de l’automobile qui prévaut toujours aujourd’hui – même si des correctifs lui ont été apportés – a eu et a encore des conséquences importantes et néfastes.

Comme très souvent dans l’œuvre d’Alfred Sauvy, les analyses sont fondées sur des chiffres et statistiques précis, des prévisions démographiques et des faits dépourvus d’idéologie, sans passion, sans préjugé personnel, tel l’entomologiste qui étudie les insectes pour les examiner tels qu’ils sont. Ses études ont abouti à des conclusions très pertinentes à l’époque de leur publication. Elles restent toujours d’actualité. Ses visions, plus d’un demi-siècle plus tard, sont souvent confirmées. Ainsi, dans ce débat automobile-contre-rail, même si de nombreux termes ont évolué en 50 ans, les choix politiques que Sauvy a critiqués et pointés comme des erreurs absurdes ont aujourd’hui des répercussions difficiles à gérer, que nous ne pouvons que subir en termes de pollution, de sécurité et vies humaines perdues, d’occupation de l’espace, de temps perdu dans les embouteillages, et d’énormes coûts économiques induits par ces choix erronés.

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L’activité d’Alfred Sauvy au Conseil économique1 est méconnue, occultée par l’importance des postes qu’il a occupés et par le nombre et la variété des ouvrages qu’il a publiés.

Quand il entre au Conseil en 1947, il est depuis 1945 directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED) et, depuis 1946, de la revue Population ainsi que délégué de la France aux Nations Unies (commission de la statistique puis de la population). Parallèlement, il enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) et a déjà publié plus d’une dizaine d’ouvrages d’économie et de démographie. Alfred Sauvy s’implique pendant vingt-sept ans dans l’activité du Conseil, dont vingt et- un, de 1951 à 1972, comme président de la section3 de la conjoncture et du plan.

Ces vingt-sept ans correspondent grosso modo à ce que Jean Fourastié a appelé « Les Trente Glorieuses »,

Pendant cette période, Sauvy présente douze rapports, la plupart sur saisine directe du Conseil. Sa rare compétence dans les domaines de la statistique et de la démographie, son expérience des cabinets ministériels et sa forte personnalité laissent penser qu’il est à l’origine de cette saisine directe et qu’il a fortement influencé la réflexion de sa section.  

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La rencontre de jeunesse entre le polytechnicien Alfred Sauvy et le futur Jacques Tati sur le gazon du Racing-Club à Colombes forme une des configurations les plus étranges de l’histoire culturelle française. Sauvy avait dix ans de plus que Tati et il n’était pas du tout le même genre d’homme. Une brillante carrière de statisticien et de pionnier en matière de prévisions économiques l’attendait, mais à l’époque où il recruta le jeune géant Tatischeff dans son équipe, Sauvy était l’assistant par intérim de Tristan Bernard, romancier et dramaturge à succès, et l’un des plus grands amateurs de sport de l’entre-deux-guerres.

Au contact de Sauvy, Tatischeff ne devint pas un champion des statistiques, et la présence de Tristan Bernard dans les vestiaires ne l’encouragea pas forcément à lire les oeuvres du patron de son capitaine. Néanmoins, l’équipe Sauvy constitua pour ainsi dire la véritable université de Jacques Tati. On s’amusait beaucoup au Racing-Club, mais c’est dans ce cadre sportif et convivial que le futur cinéaste se frotta pour la première fois avec des sommités du monde de la science et des arts. Parmi ces nouveaux amis, Tati fut capable pour la première fois, semble-t-il, de surmonter la timidité qui l’avait empêché de s’épanouir jusque-là. Et c’est là qu’il acquit lentement la conviction qu’il avait lui aussi quelque chose à donner aux autres.

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Alfred Sauvy avait 90 ans à la parution de ce livre vif et alerte, en 1988. À le lire, on n’a jamais le sentiment de l’œuvre d’un vieillard. L’ouvrage se dévore. Il m’a été impossible de l’abandonner, une fois sa lecture commencée.1

C’est une sorte d’anthologie de citations humoristiques, bien évidemment, empruntées aux grands auteurs – non pas tant du genre, que de la littérature ; Sauvy était un fin lettré, d’une érudition plus qu’estimable. Il cite ainsi le délicieux roman, paru en 1924, d’un diplomate français en poste à Tokyo, publié sous le pseudonyme de Thomas Raucat, L’honorable partie de campagne.

Sauvy avait plusieurs raisons de privilégier l’humour dans son existence et ses écrits : son origine catalane, Perpignan d’où il était issu et la taquinerie joyeuse qui s’y donne cours ; l’intimité avec ce professionnel de la plaisanterie et de la répartie qu’était Tristan Bernard (1866-1947) ; et, peut-être surtout, sa participation à la Grande Guerre : elle lui laissa, comme à Jacques Spitz (1896-1963) auquel l’un de nos précédents bulletins fut consacré, le sentiment de la précarité de l’existence et, par conséquent, de l’importance du rire, voire de la moquerie.

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Polytechnicien, ayant eu à prendre note de cours dictés dès la prépa, Sauvy en était resté fervent des écritures concises : aller droit au fait, dégraisser l’expression, trouver des formules inédites et marquantes. Il annotait impitoyablement les textes de ses collaborateurs à l’INED. Il avait réuni tout un dossier, qu’il dénommait « sottisier » et qui rassemblait, piochés au hasard de ses lectures, des contre-exemples.

Il n’est donc pas surprenant que, surtout dans les années 1960, il devienne un défenseur militant de la langue française, face à l’américanisation de la France dans ses diverses modalités : supermarchés, « MacDos », et surtout incursions de ce qu’on appela le franglais. Homme agissant, aux multiples contacts dans l’édition, la presse et l’administration, il s’efforça d’ériger des barrages.

Pour ce faire, sous de Gaulle, il fit de multiples démarches auprès d’André Malraux, le ministre de la Culture. Malraux lui accorda un entretien, à la suite duquel Sauvy le bombarda de messages pour inciter le gouvernement à légiférer. Bref, Sauvy œuvra sans succès législatif.

Son action ne trouvera de réussite qu’une génération plus tard, avec la loi Toubon – dénommée facétieusement All Good – censée combattre chez nous les innombrables abus de l’anglais et des anglicismes.

Autre facette de Sauvy défenseur de notre langue, son ferme soutien aux organismes promouvant la francophonie. En particulier, il entretint dans les années 1970 et 1980 une correspondance nourrie avec le linguiste Bernard Cerquiglini, placé à la tête de l’Institut national de la langue française, du Conseil supérieur de la langue française (dont le président en titre est le Premier ministre), et délégué général à la langue française et aux langues de France.

À cela s’ajoutent des articles de presse et de revues sur le thème, entre autres, du refus de l’anglais comme langue de communication, dans les réunions internationales, par les scientifiques français et francophones.

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Faut-il suivre Bossuet, en voyant dans « Madame », notre vieille Europe ? Nous nous sommes quelque peu promenés dans le temps et dans l’espace, touchant parfois l’horizon de 30 ans, voyageant des deux côtés de la Méditerranée, puis dans des pays plus éloignés, mais quel est le fruit ?

Première leçon de ce parcours, mais ce n’est pas une nouveauté : le domaine le plus important, le plus lourd, de plus longue portée, le plus vital, le seul aussi qui fournisse une assise solide à la prévision, la population, ne préoccupe guère nos contemporains, les pouvoirs publics pas plus que l’opinion. Lacune, bien sûr, de l’enseignement et de l’information plus encore. Du reste, ceux qui seraient tentés de pénétrer dans ces limites, dans ce qui leur paraît une abstraction, y voient vite plus de noir que de rose, pressentent quelque leçon de morale ou quelque menace à leur façon de vivre et reviennent rapidement à du concret, c’est-à-dire aux ennuis du moment, aux espoirs et aux projets.  

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C’est un sujet très délicat que d’aborder le refus de voir parce qu’aucun de nous n’est parfait sur ce point. Nous sommes tous plus ou moins enclins à ne pas voir ce qui nous déplaît. Il est néanmoins permis de dire que le refus de voir est un sentiment relativement nouveau ou, en tout cas, qui a été très renouvelé. Jadis, il s’agissait de superstitions : la pensée était tellement orientée qu’il n’y avait pas de véritable refus de voir. Il n’y avait rien à examiner, pas plus que l’ayatollah Khomeiny aujourd’hui ne craint de voir, puisqu’il est certain de voir clair. Une vérité qui échappe à toute critique, à toute nuance même, est une révélation, et ce n’est pas dans ce domaine que je m’engage.

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Pour relire les commentaires d’Alfred Sauvy sur cet article :  

En même temps qu’il nous révèle un auteur peu connu, l’article remarquable de Mme Hecht nous ouvre tout un monde de réflexions, d’une part sur les idées économiques de ce personnage curieux, d’autre part, et de façon plus générale, sur les effets de la culture, par un même homme, de plusieurs disciplines. Vandermonde est trop ouvert, pour ne pas être en proie, dans ses idées économiques, à divers courants. Sur le libéralisme d’Adam Smith - J.-B. Say est greffée une idée foncière d’intervention, attardée ou en avant-garde, peu importe, signe classique en tout cas d’espérance dans l’homme et de confiance dans la maîtrise de nos destinées. Sur un plan plus concret, le fond de ses idées est la croyance en une grande élasticité de la production, sous l’effet d’une demande stimulée ; cette confiance, qui remonte à tout le moins à Law, est enracinée dans le cœur de l’homme et revient constamment, sous des formes nouvelles. Comme la plupart des raisonnements économiques, celui-ci fait abstraction du temps, des délais et des inerties. Le conflit n’est donc pas sur le principe ou la condamnation des assignats, mais sur leur rythme. Aucun théoricien, qu’il s’agisse de Dutot, de Sismondi, de Keynes et de tant d’autres, ne fait intervenir le facteur temps, fatalement lié aux circonstances du moment. Cette notion d’élasticité dans le temps est encore la grande lacune des théories les plus modernes. Quant à l’effet de la culture de plusieurs disciplines chez un même homme, il révèle toujours, au premier abord, ses défauts, car il apparaît inévitablement que chaque partie aurait pu être approfondie davantage. D’autre part, l’opinion, même scientifique, admet plus facilement le spécialiste, ne serait-ce que par souci de simplicité et de classement. Ce jugement commode et spontané laisse cependant de côté les nombreux effets qu’a pu avoir Vandermonde sur les idées d’autres hommes. Par des cheminements peu visibles, cet homme étonnant a pu, grâce à ses butinements, répandre la culture et provoquer de véritables fécondations. Des regrets ? Chacun peut les nourrir à son gré, mais resteront toujours les leçons de cet homme épris de savoir, acharné à tailler dans la carrière inépuisable de la connaissance.

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