jean fourastie

La période des Trente Glorieuses a laissé des traces profondes dans les mentalités de nos contemporains. À cette époque, l’objectif était que chacun ait un emploi. Celui-ci était protégé à l’intérieur des frontières de notre pays. Il était garanti dans le temps par la continuité de l’expansion de l’économie et assuré par le développement régulier des grandes entreprises, des Administrations et des grands organismes sociaux dont nous voyons les fondateurs au premier rang de cette salle.

Aucun des éléments constitutifs de cette société ne subsiste : deux révolutions se sont produites, l’une dans l’espace : l’économie française s’est ouverte au Monde, l’autre dans le temps : le rythme du progrès technique s’est accéléré. Mais seule la réalité de l’ouverture à la concurrence internationale, entraînant la mondialisation de la vie économique, est maintenant couramment admise par l’opinion publique, même s’il y a divergence d’idées sur les mesures à prendre. En revanche, la révolution dans la continuité du temps reste mal prise en compte. La croissance rapide des bouleversements technologiques, entraînant une plus faible durée de vie des produits et services, changeant constamment les conditions de leur production, créant de nouvelles entreprises, mais en détruisant d’anciennes, est constatée a posteriori, mais n’est pas intégrée dans les schémas nouveaux d’organisation de la société. L’espoir d’un retour à un développement continu et sans heurt, à une situation stable, si possible de plein emploi, reste aussi vivant qu’il y a vingt ans, alors que les grandes entreprises de production, comme maintenant de services, perdent presque toutes des emplois en grand nombre.

Les modes de pensée de la plupart de nos compatriotes n’ont pas changé, alors que les données fondamentales de l’organisation économique et sociale ne sont plus les mêmes. Les solutions d’application systématique et généralisée, stables dans le temps, des Trente Glorieuses, ne peuvent plus être retenues pour régler les problèmes actuels de notre société, notamment celui du chômage. Cependant, c’est à des solutions de ce type que l’opinion publique pense spontanément pour résoudre ce chômage, en partageant le travail par l’instauration de la semaine de quatre jours établie de façon définitive, par exemple.

Penser l’emploi dans notre monde nouveau, c’est rechercher au contraire les mécanismes de mobilité et de réactivité de l’économie et de la société, répondant à une solution sans cesse mouvante. Mais cette seule quête de la flexibilité ne peut suffire à répondre aux aspirations d’une population à la recherche d’une nouvelle stabilité. Quelles solutions de compensation peut-on lui proposer qui soient compatibles avec les formes nouvelles de la dynamique des économies contemporaines ? On ne peut se contenter de dire que l’on veut instituer une société conviviale de partage, alors que nous allons vivre dans un Monde économique agressif, auquel nous participerons nécessairement, compte tenu de nos engagements internationaux.

Penser l’emploi aujourd’hui, c’est suivre une démarche inverse de celle des Trente Glorieuses, qui se fonde non plus sur la construction d’un univers stable, mais sur la recherche d’un équilibre entre flexibilité et stabilité, assurant à la fois la croissance économique et la cohésion sociale. Cela suppose un changement de mentalité, qui est loin d’être acquis.

Par Claude Vimont,
Professeur à l’Institut d'Études Politiques de Paris

Merci, Monsieur Vimont. Je suis persuadé que ce que vous venez de dire, notamment à la fin, sur flexibilité et stabilité, est vraiment dans l'axe de la pensée de Jean Fourastié. Le point suivant, qui va être traité par le professeur Edmond Malinvaud, est celui qui concerne le procès fait aujourd'hui au progrès technique et à la concurrence internationale au regard de l'emploi ; il est clair que c'est une question cruciale (Michel Albert).