jean fourastie

Messieurs les Président, Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'avoir l'occasion d'apporter mon hommage reconnaissant à la mémoire de Jean Fourastié.
(...) En quelques mots, en quelques minutes, j'essaierai de rapporter seulement ce que j'ai connu du rôle de Jean Fourastié au CNAM et de ses enseignements ; le Président Imbert, quant à lui, dira, mieux que je saurai le faire, la richesse de sa pensée qui s'est exprimée dans de très nombreuses collections d'ouvrages et articles.

Né le 15 avril 1907, Jean Fourastié est ingénieur de l'École Centrale de Paris à 23 ans ; il complète rapidement cette formation scientifique par un diplôme de l'École libre des Sciences Politiques, puis par un Doctorat en Droit, pour lequel il soutient une thèse qui traite du Contrôle de l'État sur les Sociétés d'Assurances ; il commence en effet sa carrière comme Commissaire Contrôleur des Assurances au Ministère des Finances, en 1933.

Mobilisé, fait prisonnier, il s'évade ; en sorte que, de retour à Paris, le Conservatoire le charge du cours sur les assurances du point de vue économique, alors que Maxime Malinski, dont je tiens à saluer la mémoire avec respect et affection, traitait la partie juridique.

Dès la fin de la guerre, en 1945, Jean Monnet invite Jean Fourastié à le rejoindre au Commissariat du Plan, nouvellement créé ; il lui confie la direction du Service Économique, à la suite de la publication de son premier grand ouvrage sur L'Économie française dans le Monde, lequel lui vaut également d'être nommé professeur à l'Institut d'Études Politiques de Paris où il enseignera jusqu'à sa retraite.

Enfin, à l'âge de 42 ans, en 1949, Jean Fourastié publie Le grand espoir du XXe siècle, qui lui confère très vite une notoriété mondiale et... la charge supplémentaire d'une Direction d'études à l'École Pratique des Hautes Études, charge qu'il assumera aussi jusqu'à sa retraite. C'est à cette époque également, 1954-1957, je le signale en particulier au Président Francis Mer, que Jean Fourastié préside le groupe de travail de la CECA sur les conditions et les conséquences du progrès technique dans la sidérurgie ; déjà ... il y a 40 ans !

À ce moment, j'étais tout jeune doctorant en économie, dans la bonne et ancienne Université de Toulouse ; fasciné par les idées exposées par le Grand espoir, je résolus de "monter à Paris" pour tenter de rencontrer Jean Fourastié ; ayant sollicité une audience, je fus d'abord reçu au Commissariat au Plan par sa fidèle collaboratrice, Paulette Brossard, laquelle, avec son aménité, son affabilité bien connue, m'accueillit d'un "suspicieux" et sonore : "Que lui voulez-vous ?" Heureusement, Jean Fourastié, passant par là, me fit entrer dans son bureau.

Quelques années plus tard, j'avais soutenu une thèse sur "la fonction de Recherche-Développement", fortement inspirée par la pensée de Jean Fourastié ; lui-même, âgé de 53 ans, venait alors, en 1960, d'être élu à la Chaire d'Économie et Statistique Industrielles du Conservatoire, fondée par J.B. Say et à laquelle il succédait à François Divisia.

Dans cette fonction prestigieuse, il m'appela à créer un cours au CNAM sur "les méthodes de gestion de la Recherche-Développement dans les entreprises" ; puis à diriger un Institut du CNAM, l'Institut Technique de Prévision Économique et Sociale (ITPES), dont il venait de provoquer la création. Cette création était directement inspirée par les besoins de formation à la prévision économique et sociale dont il avait ressenti au Plan, toute la nécessité. Le premier Président de l'ITPES fut Étienne Hirsch, personnalité exceptionnelle, foncièrement dévouée au bien public, d'une rare modestie, dont je tiens avec ferveur et amitié, à saluer la mémoire.

Cependant, la grande notoriété de Jean Fourastié attira, à son cours d'Économie, un public d'auditeurs toujours plus nombreux, au point que cet amphithéâtre où nous sommes, ne pouvait plus les accueillir. De telle sorte que Jean Fourastié, tel Saint Martin partageant son manteau, résolut de partager son cours en deux, et m'en fit confier un grand morceau en qualité de Professeur associé ; quelques années plus tard, Jean Fourastié assurait la présidence du Département Économie et Gestion dans cet établissement, et faisait créer la Chaire d'Économie appliquée où je fus élu en 1971.

1978 est l'année où Jean Fourastié part à la retraite ; il a alors enseigné au CNAM pendant 34 ans dont pendant 18 ans, le cours d'Économie, dans cet amphithéâtre qui va dorénavant porter son nom...

Qu'enseignait-il ? Comment enseignait-il ?

Son cours a été publié en 1978 sous le titre La réalité économique, grâce au zèle filial de Jacqueline Fourastié. Le titre est bien explicite : enseigner à voir la "réalité". Par son cours, Jean Fourastié, loin des théories, dans l'esprit du "catéchisme de Jean-Baptiste Say", a voulu commenter l'économie réelle, l'économie observée, l'économie vécue, et la mettre à la portée de l'entendement de l'"honnête homme" du XXe siècle.

Au-delà de ce qu'il a développé longuement dans ses ouvrages, et des thèmes qui sont maintenant bien connus de tous :

- le rôle du progrès des techniques dans la croissance économique,
- les effets du progrès technique sur l'évolution sociale,

Il m'est apparu en relisant son cours, que Jean Fourastié attirait constamment, comme en leitmotiv, notre attention sur le fait très souvent méconnu, qu'en matière d'économie on ne peut pas faire n'importe quoi ! Condorcet constatait déjà que "dans les sciences physiques, on convient sans peine de son ignorance ; on avoue que pour les entendre, on a besoin d'étudier ; mais il n'en est pas de même dans l'économie publique : chacun s'y croit juge !"

Jean Fourastié nous dit qu'on ne peut répartir que ce qui a été produit ; que le devoir de l'économiste est aussi de rappeler - et les exemples ne lui manquent pas ! - qu'on peut redistribuer les revenus entre individus ou groupes sociaux, seulement dans la mesure où ne sont pas compromises les incitations à l'effort, à la productivité et à l'épargne...

C'est dire l'actualité de la pensée de Jean Fourastié !

Il était membre de l'Institut depuis 1968 et Grand Croix de l’ordre National du Mérite ; à l'âge de 83 ans, il nous a quittés le 25 juillet 1990.

Intervention de M. Raymond Saint-Paul,
Professeur au CNAM
Administrateur général honoraire du CNAM