jean fourastie

Avec leurs nombreuses et brillantes publications - de réels succès de librairie! - Jean Fourastié et Alfred Sauvy sont les inventeurs d'un genre littéraire nouveau, l'essai économique grand public. Ils collaborent régulièrement avec des quotidiens nationaux prestigieux (Le Monde, Le Figaro) ou des news-magazines influents comme l'Express ou l'Observateur où Sauvy lance en 1952 l'expression "Tiers Monde". En donnant à comprendre à leurs contemporains les mécanismes économiques de long terme, le sens et la portée des transformations que leur pays et le monde ont connues après la guerre, ils pourchassent le malthusianisme sous toutes ses formes ainsi qu'un certain nombre de raisonnements simplistes et démagogiques relatifs aux relations supposées entre le progrès technique et le chômage, aux prix, aux retraites, à l'immigration..

Jusqu'à sa mort en 1990, Alfred Sauvy publie une cinquantaine d'ouvrages et quelques 2 000 articles. Dans son premier livre important Richesse et population (1943) il présente une analyse de l'optimum de population et se prononce pour une nette croissance de la population française et en faveur d'une politique d'immigration et de développement de l'emploi. Sa Théorie générale de la population (1952-1954) est émaillée de commentaires quant aux erreurs manifestes qu'il décèle dans les comportements des hommes, des groupes sociaux et du personnel politique. Il fustige en particulier l'inculture démographique de ses contemporains qui, négligeant les enseignements de l'étude attentive de la pyramide des âges, proposent des projets naïfs : « on ne gagne pas une guerre économique en ne pensant qu'à adoucir le sort des citoyens et en se donnant pour objectif d'assurer à tout le monde une retraite paisible à un âge aussi bas que possible ». Il place le souci de l'emploi avant tout autre ; son ouvrage La machine et le chômage (1980) lui permet de décrire les relations complexes entre le progrès technique et l'emploi : l'origine du chômage tient surtout dans l'ignorance des besoins encore à satisfaire, au malthusianisme économique, à la trop faible élasticité de l'offre compromise par des rigidités existantes ou introduites par des mesures dogmatiques néfastes méconnaissant les faits et par « la terreur glacée des syndicats paralysant le pouvoir ».

L'Economie française dans le monde qui paraît en 1945 dans la collection « Que sais-je ?» est d'abord l'occasion pour Jean Fourastié d'expliquer comment la France a pu subir la déconfiture de 1940, tout en rapprochant la science économique de la statistique. Cet essai d’économie géographique comparée est le premier d'une longue liste ouvrages à succès - il aura vendu plus d'un million d'ouvrages tout au long de sa carrière. Dans le Grand Espoir du XXe siècle, sous-titré « progrès technique, progrès économique, progrès social » qui paraît en 1949, comme dans la plupart de ses essais jusqu'aux années 1970 (Machinisme et bien-être, 1951, Révolution à l'Ouest, 1957), la notion de productivité devient le principe unique d’explication d’une multitude de phénomènes que, pour l’opinion publique, rien, a priori, ne rapprochait (désertification des campagnes, diminution de la durée du travail, évolution différentielles des prix) et le moyen de la modernisation de la France comme du rattrapage de son retard. L'examen des deux villages de Madère et de Cessac – en fait le même village de Douelle pris à trente ans d'écart - lui permet de retracer les mutations économiques et sociales intervenues en France de 1945 au début des années 1970 : ce sont les Trente Glorieuses (1979), livre dont le titre est passé dans le langage courant. En condamnant les ravages d'une civilisation illusoire, la société de consommation, Jean Fourastié s'intéresse de plus en plus aux incertitudes d'une raison humaine précaire et limitée, au sens de l'existence (Le long chemin des hommes, 1976) ou à l'avenir de la religion chrétienne (articles du Figaro, 1973).