jean fourastie
Les prix de l’énergie s’envolent faisant vaciller nos économies. Les causes sont connues : mauvais choix d’investissement, création monétaire et perturbations des échanges internationaux. Mais qu’en est-il du long terme ? Les prix de l’énergie sont-ils condamnés à augmenter ? Jean Fourastié nous offre une réponse.
L’inventeur de l’expression « Trente Glorieuses » fut aussi l’un des acteurs de cette période exceptionnelle. Au commissariat au Plan, Fourastié observe que le progrès technique a des conséquences variées selon les secteurs se traduisant par des baisses plus ou moins fortes des prix.
Il constitue de longues séries de prix qu’il divise par le salaire d’un manœuvre afin de les exprimer en nombre d’heures de travail non-qualifié. Ainsi, une coupe de cheveux pour homme vaut à toutes les époques un peu plus d’une heure de travail non-qualifié. A l’opposé, la bicyclette la moins chère valait 400 heures en 1910 mais seulement 130 en 1950 et moins de 20 aujourd’hui.
Le progrès technique fait s’effondrer le « prix réel » de la bicyclette mais pas celui de la coupe de cheveux qui est pour l’essentiel un travail humain non-mécanisable. Fourastié a ainsi classé un maximum de biens et services selon leur sensibilité au progrès technique que dévoilent des évolutions de prix réels très hétérogènes. Un travail toujours mis à jour par le Comité Fourastié.
Alors, quid de l’énergie ?
Au début du siècle dernier, deux heures de travail étaient nécessaires pour s’offrir un litre de pétrole. Chiffre tombé à une demi-heure en 1950 et à une dizaine de minutes en 1973 à la veille du premier choc pétrolier. Depuis, le progrès technique ne se fait plus sentir à la pompe car la fiscalité augmente régulièrement.
Mais une dizaine de minutes de travail au SMIC suffit toujours à s’offrir un litre même à 2 euros. Evolutions similaires sur le gaz de ville, un mètre cube valait une heure de travail en 1900, 12 minutes en 1950 et moins de deux minutes dans les années 1980 avant de remonter à une poignée de minutes en tarif règlementé aujourd’hui. La baisse des prix est encore plus forte pour l’électricité avec une chute continue jusqu’au début des années 2000. Cinq heures de travail étaient nécessaires pour acheter 1 Kwh distribué dans Paris en 1900, un quart d’heure en 1950 et moins d’une minute aujourd’hui. Pour ces différentes énergies, les progrès techniques ont assuré une très forte baisse des prix exprimés en heure de travail. L’énergie ressemble donc bien plus à une bicyclette qu’à une coupe de cheveux.
Les progrès techniques du secteur se poursuivent aujourd’hui à un rythme aussi soutenu qu’à l’époque de Fourastié. Rappelons simplement qu’en quelques années, les Etats-Unis sont devenus l’un des principaux exportateurs de gaz grâce aux nouvelles techniques de fracturation ; longtemps décriée, cette ressource s’arrache désormais sans scrupule.
Ces progrès permettent d’offrir de l’énergie à un prix relatif toujours plus bas malgré la hausse de la consommation, la hausse de la fiscalité et l’accès plus compliqué aux ressources fossiles. Le prix de l’énergie est donc voué par nature à baisser dans la durée. Mais cela ne signifie pas pour autant que le choc actuel ne sera pas violent.
C’est seulement après quelques années, que Fourastié a réalisé que le premier choc pétrolier avait marqué la fin des Trente Glorieuses. Les causes de l’actuel choc énergétique produiront leurs effets pendant plusieurs années. Refuser pour des raisons politiques certaines techniques (le nucléaire, le gaz de schiste, les énergies fossiles en général) ou l’importation de certaines zones peut aussi conduire à des prix structurellement plus élevés pour les pays concernés.
Il faudra donc probablement attendre quelques années pour découvrir ce à quoi le choc de 2022 a mis fin. Ce qui est déjà connu, en revanche, est que le prix de l’énergie ne sera plus le sujet brulant de la prochaine décennie si les investissements rentables ont lieu dès maintenant.
David Le Bris
Enseignant-chercheur, Toulouse Business School, Membre du Comité Fourastié, https://davidlebris.com/
Article paru dans Les Echos le 31 octobre 2022